(10-07-2024, 01:57 PM)Papytechnofil a écrit : [...] si on cherche à intellectualiser un art, j'ai plus envie de laisser tomber qu'autre chose... Si pour aimer un tableau il faut absolument savoir dans quel état d'esprit était le peintre, cela ne m'intéresse pas, soit l'émotion est là ou bien je m'en cogne!
// c'est moi qui souligne
La question soulevée est profonde:
faut-il de la connaissance pour apprécier le beau ?
Kant répond par la négative: "est beau ce qui plaît universellement sans concept." (Critique de la faculté de juger, 1790). Les sens (la sensation) suffiraient.
'Y a un truc qui, tout de même, me gratte très légèrement, là-dedans.
En effet, vendredi, j'assistais à un des deux concerts du WE. Au programme, les Fontaines de Rome, de Respighi. Je connaissais
déjà l’œuvre, et l'appréciais beaucoup. Toutefois, un petit texte, présenté dans le programme comme "clé d'écoute" (des fragments de...connaissance?), m'a fait entendre la première pièce comme jamais.
Voici ce petit texte décrivant
La fontana di Valle Giulia (La fontaine dans la vallée Julia). Je souligne les passages remarquables et imagés:
Citation :La partition s'ouvre à l'aube (all’alba) à La fontana di Valle Giulia (La fontaine dans la vallée Julia). Dans une ambiance pastorale, l'orchestre s'éveille avec des figures de cordes murmurantes, tandis que, au loin, on entend le bétail être conduit dehors. L'orchestration est claire et fluide, avec une place d'honneur pour les bois aigus (flûtes, piccolo, hautbois) et les cordes. Harpes, célesta et triangle évoquent progressivement l'éclat de la lumière sur l'eau. Au-dessus de ces impressions éphémères, des mélodies serpentines de bois apparaissent et disparaissent. L'aube se lève. (Johan Van Acker)
Je vous invite à l'écouter, concurremment à la lecture de cette petite présentation:
YouTube, The Fountain of Valle Giulia at Dawn.
"Respighi s'inspire de quatre fontaines romaines et de leur eau chatoyante à quatre moments différents de la journée." Ça, je
savais. Ce que je ne
savais pas, c'est que Respighi, ce "peintre orchestral raffiné" qui a "suivi des leçons d'orchestration auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov", fait revivre grâce à des couleurs orchestrales raffinées, dans sa célèbre
Trilogie romaine, l'atmosphère rurale que la capitale italienne dégageait autrefois." Ni que la première pièce décrivait une scène champêtre à l'aube.
Je me suis dit: "étrange, tout de même, comme des
informations (textes de présentation, clés d'écoute, etc), des
fragments de connaissances préalables, éclairent, modulent, voire amplifient l'expérience esthétique..." Ce n'est peut-être pas à proprement parler du "
concept", dont la présence n'est pas nécessaire, selon Kant, pour éprouver la beauté. Mais c'est quand même quelque chose de préalable, et d'ordre intellectuel.
Bref, je suis rentré avec mes questions (mais qu'importe), bercé par la musique, encore tout enchanté le lendemain, au réveil (et n'est-ce pas là le principal?)
(10-07-2024, 01:57 PM)Papytechnofil a écrit : Il faut écouter, parfois plusieurs fois et si l'on ressent du plaisir c'est gagné !
C'est exactement ça.
Et surtout écouter le programme
avant le concert, si on s'y rend. Ça amplifie les émotions lors du concert (amplification en classe A garantie), le rendant parfois inoubliable !
En diffusant le programme du concert en musique de fond chez soi ou dans la voiture, afin de s' en imprégner, de laisser la musique nous habiter progressivement, on remarque peu à peu qu'on devient plus attentif à l'approche de certains passages qui nous seront devenus familiers. Et qu'on anticipe désormais, ressentant déjà le plaisir croissant de les entendre venir. Ce phénomène est réel, et commence d'ailleurs à être bien connu des neurosciences (certaines recherches étudient l'effet de la musique sur le cerveau; un colloque
Brain and Music, remarquable, a même eu lieu il y a quelques mois.)
En répétant ces écoutes de plus en plus gratifiantes, un plaisir toujours croissant en découle à chaque fois
Encore hier dimanche, le 3ème concerto pour piano de Rachmaninov. Leif Ove Andsnes au piano, et le Philharmonique de Rotterdam dirigé par Joana Mallwitz. (Bref, un casting de haute volée, pour €13. TREIZE BALLES !! Bien placé. Thibault Cauvin et -M- par contre, €90...Je n'y étais pas, pour cette raison)
En seconde partie, une oeuvre de Hindemith que je ne connaissais pas, symphonie "Mathis der Maler", inspirée d'un triptyque du peintre Matthias Grünewald. Deux écoutes "distraites" de l’œuvre avant le concert, faites en cuisinant, m'ont permis de commencer à l'apprécier suffisamment pour que ce soit presque un feu d'artifice intérieur une fois dans la salle.
Bref, des réécoutes d'une oeuvre, ça aide en effet à l'apprécier de plus en plus. Et si ça plaît, on ne s'en lasse pas. Et pour le concert, une écoute préalable, ça aide vraiment.
On pourrait dire que tout ça ne vaut pas "concept", qui permettrait d’apprécier le beau, mais sont plutôt des
expériences antérieures. J'ai ainsi souvent eu l'impression que, plus j’écoutais une oeuvre classique qui me plaisait, plus elle m'enthousiasmait. À l'inverse, cette répétition d'écoutes d'albums rock et pop avait fini par épuiser mon intérêt, et je m'en suis progressivement lassé. J'en écoute encore, mais à petites doses.