Pas vu ce doc, mais je vais regarder ça. Merci Gigi.
Un autre éclairage sur le streaming, pour le moins intéressant, et ses fake streams :
https://www.lefigaro.fr/musique/musique-...e-20230817
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Les plateformes musicales traquent les artistes qui gonflent leurs audiences
En France, selon le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), les plateformes de streaming ont cumulé 11 milliards d’écoutes en 2022.
ENQUÊTE - Deezer, Spotify, Apple Music ou Amazon, certains artistes achètent des streams pour quelques euros afin d’obtenir plus de visibilité. Enquête sur ce marché parallèle de l’industrie musicale.
Les plus beaux succès cachent parfois de sombres histoires. Dans les années 2010, Deezer, Spotify, Apple Music et Amazon sont devenus des mastodontes de l’industrie musicale, et il faut désormais composer avec eux. Preuve de leur réussite, en 2021, les Victoires de la musique inaugurent une nouvelle catégorie: titre le plus streamé. Lors de la cérémonie, Romain Vivien, leur président, souligne que
«la manière de découvrir et de consommer de la musique» évolue. Il ajoute:
«Aujourd’hui, le streaming représente environ 60 % du marché. Il nous paraissait essentiel que les Victoires soient en phase avec ce mode de consommation là.»
Ce monde-là, c’est celui des plateformes de streaming. Depuis leur arrivée, l’industrie musicale a dû tout repenser. Et, dans ce monde-là, un chiffre compte vraiment: le nombre d’écoutes par morceau. Des chiffres que le Centre national de la musique (CNM) scrute minutieusement. Selon le rapport annuel de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi) publié cette année, en 2022, le nombre d’écoutes représente 67 % des parts du marché de la musique. Dans le monde, 589 millions de personnes possèdent un abonnement Deezer, Spotify ou Apple Music, dont quelque 16 millions de Français.
Mais voilà, certains chiffres attirent l’attention. Le CNM décide alors de mettre son nez dans les affaires des plateformes. En janvier, un rapport dévoile un business caché. Un trafic sévirait dans ce monde dématérialisé: des artistes, des labels, des petits arnaqueurs en tout genre achèteraient des streams. Dans les couloirs des studios, les rumeurs vont bon train. Et les soupçons sur qui achèterait des fausses écoutes ou pas sont un bruit de fond permanent.
11 milliards d’écoutes
On chuchote que 90 % des rappeurs français s’adonneraient à ce genre d’acquisition. Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. Un petit coup de pouce et l’algorithme de Spotify fait entrer un titre dans l’une de ses 175 playlists. Une fois qu’il a intégré la liste, il est plus simple de se faire repérer par le public. Et, à en croire certains, l’achat de streams sur Deezer, Spotify ou Apple Music est une pratique courante.
«Tu n’peux pas t’acheter du goût, mais tu peux t’acheter des streams et des vues», rappe, dès 2018, Alpha Wann dans son titre La Lumière dans le noir. En février 2022, Booba partage dans une story Instagram un extrait de conversation avec Vald, un autre rappeur. Le «Duc de Boulogne» lui écrit:
«Première semaine, en trois jours tu fais 51.000 ventes. Cette semaine en trois jours tu fais 4800 ventes. (…) Tu nous expliques? de 51 à 4?! Il s’agit de doser.» Entre deux menaces à peine voilées, le poids lourd du rap français accuse Vald d’acheter de fausses écoutes sur les plateformes de streaming musical.
En France, selon le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), les plateformes de streaming ont cumulé 11 milliards d’écoutes en 2022. Un chiffre titanesque au regard des 16 millions d’albums physiques (CD et vinyles) vendus pendant la même période. Ces milliards de streams sont particulièrement lucratifs. Selon le Snep, en 2022, le streaming par abonnement pèse 426 millions d’euros et
«reste de loin la première source de revenu de la musique enregistrée et le levier de croissance» du secteur.
Une hausse des fraudes
En 2019, Maxime, à peine majeur, flaire le bon filon. Il se débrouille bien en informatique. Grâce à ses compétences, il commence à vendre des streams à des artistes en mal d’écoute ou à des labels qui veulent booster un peu la notoriété de leurs poulains.
«C’est comme télécharger un film illégalement. C’est très difficile, voire impossible de nous retrouver», affirme le jeune homme. S’il reste discret sur ses anciens clients, Maxime explique que 90 % d’entre eux
«faisaient du rap français. J’avais aussi des artistes d’Amérique du Sud». Surtout, selon lui, de nombreuses maisons de disques utilisent ce mécanisme.
«D’après ce que j’ai pu constater, j’estime que 70 % à 75 % des labels font appel à des gens comme moi pour générer des fake streams. Bien sûr, ils ne le font pas tous à la même échelle, lâche Maxime. Sur une plateforme, si le titre ou l’album d’un artiste peu connu génère 1 à 2 millions de vues en une semaine, c’est trafiqué.»
Chez Deezer, l’arnaque est pourtant bien connue. Les équipes de la plateforme de streaming française se sont penchées sur la question des fake streams il y a une dizaine d’années déjà.
«En 2013, on a intégré dans nos conditions générales d’utilisation l’interdiction de manipuler les audiences», explique Thibault Roucou, responsable du service royalties et reporting. Dans son bureau du 9e arrondissement de Paris, Ludovic Pouilly, directeur des relations institutionnelles et industrie musicale de Deezer, exhibe fièrement graphiques et tableaux. Une masse de données censées attester de l’efficacité des algorithmes maison.
«Aujourd’hui, on a une équipe de quinze personnes qui travaille sur ce sujet», annonce-t-il. La plateforme a partagé ses chiffres avec le Centre national de la musique.
En 2021, Deezer fait état d’environ 2,6 % d’écoutes frauduleuses. Un chiffre porté à près de 7 % aujourd’hui.
«Cette hausse s’explique simplement parce qu’on détecte mieux les fake streams», justifie Ludovic Pouilly. Ailleurs, les chiffres dépassent rarement les 2 % et, là encore, le cadre l’explique par des méthodes de détection qui n’en sont qu’à leurs prémices.
«Il y a quelques années, j’avais voulu lancer une concertation avec d’autres plateformes. Mais j’ai eu l’impression qu’aucune équipe ne travaillait sur le sujet, admet-il. Aujourd’hui, les ayants droit me disent que Spotify a des outils plutôt sophistiqués et que les autres s’y sont mis.»
«Distorsion du marché»
Petit à petit, les acteurs du marché montent au créneau. La raison est simple: acheter des fausses écoutes est illégal. Dans son étude, le CNM précise que celles-ci provoquent une
«distorsion du marché».
«Les streams frauduleux perturbent les profils algorithmiques des artistes» et entachent leur image, constate le CNM. Par ailleurs, la responsabilité pénale peut être engagée. Les fake streams constituent une fraude à plusieurs titres. Et, selon le motif retenu par les instances judiciaires françaises, le fraudeur peut être condamné à de la prison ou à quelques dizaines, voire centaines, de milliers d’euros d’amende. À ce jour, aucune décision de justice n’a été émise. Car encore faut-il attraper les escrocs.
Une rapide recherche sur internet donne une idée de la facilité à acheter des streams. Des dizaines de sites proposent de gonfler les audiences pour une poignée d’euros. Thomas, une petite vingtaine d’années sur les épaules, nous donne rendez-vous en visio sur Google Meet. Pendant les vingt-cinq minutes d’entretien qu’il nous accorde, on ne verra pas son visage. Seulement le logo de son business. Il est à l’origine du site Boostium.fr, l’un des innombrables sites obscurs qui vend des streams sur Spotify, des followers sur Instagram, Facebook et TikTok. La façade est alléchante, mais, en y regardant de plus près, on remarque quelques fautes d’orthographe et des incohérences.
En 2018, il monte sa vitrine parce qu’il estime
«important d’aider des jeunes artistes à se lancer». Une volonté affichée sur l’interface.
«Beaucoup d’auditeurs sur Spotify retrouveront vos sons s’ils ont beaucoup de lectures. Vous comprenez donc l’importance d’acheter des streams et des plays sur Spotify», lit-on sur l’onglet dédié à la plateforme de streaming suédoise. Pour 1000 écoutes, comptez 7 euros, pour 5000, il faudra débourser 29 euros, pour 25.000 tous les mois, le site offre un abonnement mensuel à 89 euros.
Préjudice d’image
Thomas balaie d’un revers de main l’illégalité de ses services.
«Ce n’est pas grave, on ne vend pas de la mauvaise marchandise», se défend-il. Le «dealer de streams» estime vendre en moyenne entre 50.000 et 100.000 fausses écoutes par mois.
«Les commandes se font par petites quantités, la majorité achète 1000 ou 5000 streams, juste pour se démarquer», dit-il.
Selon l’avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, Pierre-Xavier Chomiac de Sas,
«sur internet, les sites illégaux sont difficiles à réguler». Surtout, les gendarmes du web ont d’autres chats à fouetter ; la pédopornographie, la vente d’armes ou l’islamisme radical sont les priorités des autorités. Le commerce des fausses écoutes passe en second. Et, comme
«dans beaucoup de trafics, la méthode repose sur un réseau criminel complexe, rappelle Pierre-Xavier Chomiac de Sas. Chaque maillon de la chaîne a une connaissance très limitée de ce réseau, et certains acteurs peuvent se trouver au fin fond d’Israël, de la Russie ou de la Palestine, où la question de la légalité des streams se pose moins que dans les pays visés, souvent en Europe ou aux États-Unis.» Du côté des plateformes, le préjudice d’image est important.
«Elles se doivent d’être transparentes et fiables vis-à-vis du consommateur et de l’artiste», rappelle Pierre-Xavier Chomiac de Sas.
Une coordination entre tous les acteurs
En janvier dernier, la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) a porté plainte contre X pour escroquerie. Chaque année l’organisation collecte 15 % du chiffre d’affaires des plateformes au titre des droits d’auteur.
«En comptant la musique de film, on paie environ 500 millions d’euros par an aux artistes», explique David El Sayegh, son directeur général adjoint.
Or, le phénomène des fake streams brouille la juste répartition des droits d’auteur.
«On aimerait un cadre réglementaire pour régir ce marché», appelle de ses vœux David El Sayegh. La société de gestion entend se coordonner avec les autres acteurs de l’industrie pour faire naître un organisme de contrôle de ces abus numériques. Mais cela supposerait aussi d’accorder leurs violons avec les géants du secteur. Que les premiers intéressés dorment tranquille: tant qu’il y aura du stream, il y aura du deal.
Sur les plateformes de streaming musical, un stream est comptabilisé à partir de trente secondes d’écoute. Il n’y a pas que les artistes rêvant d’être connus qui fraudent. En février 2018, l’arnaque d’un hackeur bulgare est démasquée. Les dirigeants de Spotify constatent que deux playlists dont ils ignorent tout se placent en 22e position dans les charts américains.
En disséquant les deux listes, ils constatent qu’elles se composent de 500 titres de trente secondes chacun. Les deux listes ont été créées en octobre 2017, la qualité musicale est médiocre et, surtout, en se penchant sur les streams, les responsables de Spotify remarquent qu’elles sont écoutées en boucle 24 heures sur 24 par 1200 comptes.
En quelques mois, ce hackeur jamais démasqué aura gagné 1 million de dollars. C’est ainsi que Spotify découvre que des arnaqueurs utilisent sa plateforme pour un business qui n’a rien de musical. Ce qui lui permettra ensuite de mettre à jour ses conditions d’utilisation.
C'en est un parmi d'autres...